Thursday, November 6, 2008

Le tour du monde d'un Jeans


THE GUARDIAN Londres -Fran Abrams et James Asill Extraits de l’article traduit et publié par Courrier International du 02/08/2001 - Numero 561


Un centre commercial comme un autre. C' est celui d'Ipswich, dans l' est de l' Angleterre (…)
Dans un coin, on y trouve le magasin Cromwell's Madhouse . Une boutique ouverte, un capharnaüm où s' entassent jeans, sweats, pantalons sport. Mais surtout des jeans. Et le voilà, trônant au milieu de la pièce sur une estrade, sous une pancarte vantant des "Grandes marques à 19, 95 livres [200 FF]".Juste un jean, se nichant parmi des dizaines d' autres identiques. Un blue-jean délavé, coupe droite à cinq poches, braguette avec fermeture éclair. Un Lee Cooper, modèle LC10. Du 100 % coton. Mais aucune mention de l' origine, ce qui est sans doute tout aussi bien, car que mettre si on la connaissait vraiment ? (…) Car Cromwell's Madhouse est le terminus d' un voyage dont les étapes, mises bout à bout, feraient une fois et demie le tour du monde. (…) Ces jeans sont arrivés ici il y a quelques jours dans une camionnette depuis l' entrepôt de Lee Cooper au nord de Londres.C' est là qu' on leur a attaché l' étiquetteC dreo mwell's avant de les empaqueter et de les expédier au magasin, à temps pour la cohue du week-end . Mais, avant, il avait traversé la Manche par le tunnel, dans un camion parti d' un entrepôt similaire à Amiens et, avant cela encore, il avait quitté la Tunisie par train et par bateau. De Ras Jebel plus précisément, à une bonne heure de route au nord de Tunis, (…) Ici, 500 femmes travaillent à un rythme effréné, les yeux baissés, tous les muscles du corps tendus. Chacune a sa spécialité : fermetures Eclair, poches, coutures latérales, ourlets. Et chacune fonctionne comme un automate, tirant un vêtement d' un chariot placé à ses côtés, le jetant sur la machine à coudre, cousant l' ourlet à toute vitesse, arrachant l' article de la machine, le replaçant vivement. Elles répètent les mêmes gestes toute la journée. Leurs primes en dépendent. Une ouvrière qualifiée touche 220 dinars net par mois [1 120 FF], soit moins de 6 FF de l' heure. C' est bien plus que le salaire minimum de 4,75 FF brut, mais bien moins que la moyenne dans l' industrie du prêt-à-porter en Tunisie, 9,20 FF.Si elles atteignent leurs objectifs, elles gagnent 30 dinars supplémentaires par mois (…) Bien que le prix à la sortie d' usine de ce jean s' élève à 50 FF à peine et que les frais de transport vers la France à 1 FF, Fasedj ( une ouvrière)n' est pas du tout surprise qu' il se vende normalement 29,95 livres [300 FF] chez Cromwell's Madhouse. Son frère vit en France et, là-bas, il coûte entre 300 et 500 FF. Mais cet atelier, cette petite communauté d' ouvrières, ne signe pas le début de notre pantalon. (…)Il y a, par exemple, cette toile rigide, d' un bleu sombre, le denim Kansas. Il arrive à Ras Jebel par les voies terrestre et maritime, en provenance de l' usine Italdenim de Milan, à près de 1 000 kilomètres de là, où il a été filé, tissé et teint avec de l' indigo synthétique manufacturé à environ 500 kilomètres plus au nord, à Francfort, en Allemagne. A Ras Jebel, on le coupe, le coud et le transforme de nouveau, cette fois en un tissu doux et agréable à porter, dans de gigantesques machines à laver industrielles, en utilisant de la pierre ponce extraite d' un volcan éteint de Turquie. Et qu' en est-il du coton qui sert à fabriquer la toile ? Italdenim compte plusieurs sources d' approvisionnement, la principale étant le Bénin, en Afrique de l' Ouest. (…) Le Bénin est l' un des pays cultivateurs d' Afrique de l' Ouest. En raison de la corruption et de la mauvaise gestion, les cultivateurs sont pour la plupart restés aussi pauvres qu' il y a cent ans, lorsque les Français ont introduit cette culture dans la région. Et là où les techniques modernes parviennent au compte-gouttes, sous la forme d' insecticides et d' engrais, les gens meurent. Durant la saison du coton de l' année dernière, une centaine de personnes sont mortes des suites d' un empoisonnement à l' endosulfine, un pesticide déversé, comme d' autres produits chimiques dangereux, sur les cultivateurs de coton d' Afrique de l' Ouest, alors que des pays riches l' ont interdit. (…)Le seul moyen de gagner de l' argent est de disposer d' une abondante main-d' oeuvre familiale gratuite, se lamente M. Zinkponon, qui n' a qu' un seul fils malgré ses deux épouses". Certains cultivateurs, dit-il, prennent six ou huit femmes." Selon le Fonds des Nations unies pour l' enfance U(NICEF), les régions de culture du coton au nord et au centre du pays sont les seules du Bénin qui ne connaissent pas un trafic d' enfants vers des pays voisins plus riches. Elles enregistrent également les taux d' abandon des études scolaires les plus élevés au Bénin. On a besoin de tous les enfants dans les champs. (…) Il y a aussi le coton qui enrobe certains fils de polyester et dont l' histoire mérite elle aussi d' être racontée. (...) Ils sont produits à Lisnaskea, en Irlande du Nord, mais aussi en Hongrie et en Turquie. Ils sont teints en Espagne et mis en bobine à Tunis, avant d' être expédiés à Ras Jebel. L' entreprise achète la fibre polyester, qui donne au fil sa solidité, au Japon, où on la fabrique avec des produits pétroliers.Tout comme la bande en polyester de la fermeture Eclair qui, par une pure coïncidence, est produite en France par une autre firme japonaise, YKK. Le laiton des dents de la fermeture provient également du Japon. Le laiton est un alliage composé principalement de cuivre avec un peu de zinc. Les rivets et une partie des boutons sont aussi en laiton. Ils sont fournis par Prym, une entreprise allemande qui produit son propre laiton avec du zinc et du cuivre importés d' Australie et de Namibie. On retourne donc en Afrique, plus précisément en Afrique australe, où le centre de l' industrie namibienne du cuivre se trouve à Tsumeb, dans le nord du pays. Là, la mine et le haut-fourneau viennent de rouvrir après une fermeture de deux ans qui avait fait suite à une grève. (…) mais, d' ores et déjà, on s' inquiète des effets de la pollution sur la population humaine(…)